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Réalité, Quentin Dupieux : « Réalité n’est pas un inécoutable du cinéma mais est bien à l’image de son auteur: mystérieuse et volontairement loufoque mais d’une construction très maitrisée. »

Réalité ou l’art de la déconstruction absurde « Vous n’avez sans doute jamais remarqué, mais tous les grands films, sans exception, contiennent une part importante de “Aucune raison”. Vous savez pourquoi ? Parce que la vie elle-même contient des tonnes de “Aucune raison” ». Dans Rubber, sorti en 2010, Quentin Dupieux prévenait déjà les spectateurs du manque de raison de la vie, avant de laisser place à la fois à un film d’horreur et à une comédie mettant en scène un pneu sérial killer. L’engouement du non raison était donc lancé. Il s’est précisé avec Wrong en 2012, où un homme qui a perdu la tête cherche son chien pendant toute la durée du film, a continué avec Wrong Cops en 2013 où le spectateur doit se retrouver entre plusieurs histoires de policiers qui se recoupent, et a enfin trouvé son point d’orgue avec Réalité en 2015, accompagné d’Alain Chabat qui va réussir à sublimer l’incompréhension organisée du spectateur. Résumer cette histoire relève de l’impossible, mais nous pouvons tenter l’impossible, pour un film qui dépasse les limites du sensé. Le film débute avec une petite fille, nommée Réalité, trouvant une VHS bleue parmi les entrailles d’un sanglier que son père, chasseur, est en train de vider. D’autre part, nous découvrons la vie d’un simple cadreur vidéo pour publicités, Jason Tantra (A. Chabat), qui prépare également un projet de film d’horreur / science-fiction, basé sur la prise de conscience de tous les téléviseurs du monde (prenant le dessus sur des humains grâce à leurs ondes). Il présente son projet au producteur Bob Marshall (Jonathan Lambert) qui le validera à une condition : Jason a 48 heures « pour trouver le meilleur gémissement de l’histoire du cinéma ». Et voilà le point de départ d’une dualité qui semble se vivre tranquillement, jusqu’à la moitié du film, où le décrochage se fait. Pendant les 40 dernières minutes, le spectateur va tenter de relier les morceaux entre eux, afin de retrouver la cohésion, en vain. Un dénouement absent pour une réalité imaginaire. Accompagné pendant toute la durée du film par une seule musique, obsédante, qui est celle de Philip Glass (Music with Changing Parts), le spectateur tente de s’accrocher comme il le peut à un semblant de sens. Mais là est l’objectif de Dupieux, nous embarquer dans un voyage, dans un rêve, où nous ressentons exactement la même chose que les personnages au même moment. Certains hallucinent, d’autres ont des démangeaisons impossibles à guérir, impossible de comprendre d’où cela vient et pourquoi c’est encore là, pourquoi le réel spectateur est aussi en plein questionnement. Et la seule et même bande sonore utilisée nous confine toujours plus dans cet esprit sans portes de sorties. Il faut s’échapper de cette illusion pour retrouver la réalité mais ce n’est malheureusement pas ce qui arrive, comme dans un film “classique” ou un dénouement survient à la fin…Là, pas de dénouement mais une prolongation de l’incompréhension et, habilement illustrée par les acteurs, l’image et le rythme. On connait Quentin Dupieux sous un autre nom, celui de Mr Oizo, compositeur de musique électronique ayant son poids dans la culture musicale française et définissant lui-même ses compositions comme basées sur « l’inécoutable et l’envie de stopper la track ». Réalité n’est pas un inécoutable du cinéma mais est bien à l’image de son auteur: mystérieuse et volontairement loufoque mais d’une construction très maitrisée.

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