On est entre nous, parle moi d'un film
La trilogie Bill Douglas, Bill Douglas : « Quel bonheur, d'être face à un film, et de se dire : "oui, c'est pour ça que je suis venu ! C'est pour ça que je vais au cinéma !". »
Étudiant à Rennes 2, j'allais tous les mercredis soir aux deux séances hebdomadaires du cinéma du campus. La programmation était faite par les étudiants de Master ciné et n'avait rien à envier à celles d'institutions plus établies. Elle était pointue et éclectique. Enfin... J'y suis allé tous les mercredis soir à partir de ma L2 car il m'a fallu tout ce temps pour oser franchir les portes du bâtiment (et tout un semestre pour franchir celles de la bibliothèque universitaire). Parfois j'y allais avec des amis, on mangeait ensemble à la pause entre les deux séances. Mais souvent j'y étais seul, très seul, tout seul dans mon siège et dans une salle clairsemée. On était peut-être 200 étudiants cinéphiles dans ma promo mais si je reconnaissais cinq ou six têtes dans l'assemblée, c'était déjà beaucoup. J'aimais l'ambiance de ce lieu, la passion des étudiants qui présentaient les films, la créativité et la qualité dans la construction des séances. La projection de la trilogie Bill Douglas était un de ces soirs de salle peu remplie, où je sortais des cours à 18h le ventre vide. Affamé dans mon siège, je me laissais absorber par tout ce qui était programmé. Je me disais que les films nourrissent l'esprit et pas le ventre... "Les meilleurs scénarios s'écrivent le ventre vide" (Sunset Boulevard). Bref, là dans mon siège, j'ai vécu la chose la plus forte en tant que spectateur. Les thèmes abordés ont fait écho à des choses personnelles. Quel bonheur, d'être face à un film, et de se dire : "oui, c'est pour ça que je suis venu ! C'est pour ça que je vais au cinéma !". Des films inconnus qui nous font mieux savoir qui nous sommes. Qui nous disent "moi aussi je sais ce que c'est", ou alors c'est nous qui voulons le crier au réalisateur pour lui dire que son film a parlé à quelqu'un, quelque part aujourd'hui. Un film qui nous promet que ça ira mieux plus tard, et évidemment on le croit ce réalisateur, évidemment qu'il sait de quoi il parle. J'ai 20 ans, je suis là dans mon fauteuil et il me parle à moi. Quel privilège ! C'est un film qui s'adresse, dans une infinie générosité, à quiconque veut regarder et écouter. Pas de calcul ni de recette magique, c'est le cinéma de Bill Douglas qui n'essaye pas d'être autre chose que ce qu'il est : du grand cinéma, et pour être grand il faut être unique. Il y a les maîtres et il y a ceux qui ne les dépassent pas... Il y a aussi ceux qui dévoilent qui ils sont sans s'inscrire dans une démarche académique. Œuvre autobiographique, cette trilogie dit clairement "voilà qui je suis et voilà pourquoi je suis comme ça". Alors on se prend ça dans la figure et c'est une claque. Je suis sorti de la séance comme j'y suis entré : seul, mais Dieu merci ! Je ne comprendrai jamais cette préférence à être accompagné de ses amis au cinéma. Je préfère avoir la lune comme seul témoin lorsque je sors de la salle, au moins elle ne me demande pas si j'ai aimé en me disant "moi oui, mais c'était un peu longuet". Je déteste avoir adoré un film et que quelqu'un, dans toute son arrogance, m'explique en quoi il n'est pas bien. Et je ne veux pas être cette personne pour quelqu'un d'autre non plus ! Alors vive le cinéma en solitaire.